La couleur à la rencontre de la forme : le titre d’une de ses toutes premières œuvres aurait presque valeur de manifeste. Ce petit quadriptyque composé de panneaux légèrement en relief, dans une gamme chromatique réduite à deux couleurs (le blanc, le rouge), annonce les principes fondateurs d’un vocabulaire plastique qui, depuis, n’a cessé de se développer en suivant les voies du monochrome et surtout, de la monumentalité.

Aujourd’hui, Patrick Montagnac expose partout dans le monde, en France, à Monaco, à Tokyo, à New York, à Genève, à Londres…. En 2020, il a été l’invité du musée Matisse au Cateau-Cambrésis, et a le goût des expositions flash organisées dans des galeries éphémères (en mars 2023 à L’Arbre blanc, à Montpellier, où il présentait une quarantaine de toiles de petits et grands formats). À chaque fois il crée l’événement, immergeant le spectateur dans l’épaisseur de la matière et l’intensité de la couleur.

L’art de Montagnac s’articule autour d’un nombre resserré de sujets : le corps féminin, les îles, les arbres, le monde aquatique… Chaque thématique donne lieu à une série ouverte, envisagée comme une « collection » amenée à s’enrichir au fil du temps. « Les tableaux se complètent, se répondent, se conjuguent », explique l’artiste.

Montagnac enchaîne les voyages et les rendez-vous. Mais lorsqu’il est chez lui, il travaille au calme, dans sa maison de style Art déco où il a aménagé un atelier à la (dé)mesure de ses projets. Sa pratique artistique, qui mêle béton et pigments, est éminemment physique. Comme celle d’un sculpteur, son œuvre n’engage pas seulement la main, mais le corps entier.

Une énergie vitale

Tout commence par un simple croquis, griffonné sur un cahier. Puis, au fusain, Patrick Montagnac esquisse sa composition sur la toile, adossée au mur. Rapide, le geste insuffle d’emblée une dynamique. L’artiste travaille ensuite par terre, pour donner corps à sa forme en béton. Une fois celle-ci finalisée, vient le temps de la peinture, au couteau.

Autour du relief, Montagnac peint des fonds en apparence monochromes, sans être jamais uniformes. Des lignes presque invisibles dansent dans la couleur, d’infimes nuances animent la surface. Les énergies circulent. Le regard, d’abord happé par le motif principal, se perd dans l’univers pictural, jusqu’aux frontières de l’abstraction.

Le peintre s’inspire de ce qu’il vit, de ce qu’il voit. De ces paysages stratifiés, érodés, qu’il observait enfant dans la vallée du Lot. Natif de l’Aveyron, Patrick Montagnac a très vite été attiré par des mondes plus lointains. Il a obtenu son brevet de pilote à l’âge de 17 ans. D’où ses Îles vues d’avion, entre cartographies réelles (Corse, Guadeloupe, Fidji…) et territoires imaginaires. Les corps sensuels de ses Hommages aux femmes, comme surgis de la matière, parlent de mémoire, de trace et d’empreinte. Quant à ses Arbres solidement enracinés, ils cachent leur vulnérabilité derrière leur apparente puissance.

Quel que soit le sujet, les œuvres de Montagnac évoquent le passage du temps, la fragilité des êtres, des choses, de la nature. « En 2008, à la suite d’un diagnostic médical erroné, ma perception de la vie a changé. La conscience de son caractère éphémère a pris le dessus. La peinture est là pour garder une trace de ce qui disparaît », explique-t-il. Patrick Montagnac peignait déjà depuis quelques années, mais c’est à ce moment où son existence a failli basculer qu’il a décidé de se consacrer exclusivement à son art.

Vers le monumental

S’il a inventé une technique et un style qui n’appartiennent qu’à lui et font aujourd’hui sa signature, Montagnac ne cache pas ses influences. « Van Gogh est le premier peintre qui m’a fasciné, par sa touche épaisse et l’expressivité de ses couleurs », dit-il. Les œuvres matiéristes de Paul Rebeyrolle et d’Antoni Tàpies l’ont encouragé à expérimenter le relief et le béton. Quant à son goût pour le noir, il le doit au plus illustre des Aveyronnais, Pierre Soulages. « J’ai eu une véritable révélation en 2012, lors d’une exposition au musée des Beaux-Arts de Lyon », se souvient l’artiste. Depuis, il enveloppe ses Arbres et ses Ailes d’ange d’un noir profond et texturé, mat ou soyeux, lisse ou rugueux, laissant la lumière caresser les volumes, souligner les reliefs, donner vie aux plis et replis de la matière.

Enfin, comment ne pas évoquer Henri Matisse ? En 2020, Patrick Montagnac est sollicité par le musée Matisse du Cateau-Cambrésis pour participer à une exposition collective d’art contemporain à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance du peintre. Il a l’honneur d’une salle entière, où il présente quatre œuvres magistrales : trois d’entre elles sont dédiées aux thèmes des îles (la Corse et Tahiti) et de l’arbre, la quatrième est un immense diptyque en monochrome noir. « La difficulté était de tenir la dynamique sur d’aussi grandes surfaces. Ce dialogue avec Matisse m’a fait grandir », confie-il.

En moins d’une quinzaine d’années de carrière, le chemin parcouru par Montagnac est impressionnant. De ses premières séries à l’acrylique à l’aube des années 2010 (Bouquets de fleurs, Gourmandises…) à ses récents polyptiques, sa peinture n’a cessé de gagner en maîtrise, déployant sa puissance en des formats de plus en plus monumentaux.

Fort de son succès, il est aujourd’hui sollicité dans le monde entier. Collectionneurs, chefs d’entreprise, directeurs d’hôtel, institutions muséales… lui passent commande. « Cela me pousse à sortir de ma zone de confort, à emprunter des voies nouvelles tout en restant fidèle à ce que je suis. Seule une œuvre sincère, authentique, sera réussie », conclut l’artiste.

   Guillaume Morel

Journaliste & critique d’art